Une goutte salée perlait sur son front, c'était le début de la fin. Les sourcils épais se fronçaient, les muscles roulaient sous sa peau, sa respiration s'affolait. Le cœur troublé, il aurait aimé jurer entre ses dents, siffler face à l'idiotie de la situation. Il se contenait cependant, tentant d'apaiser son souffle tout en constatant que le chignon qui retenait ses longs cheveux châtains, lui tombait sur la nuque. Bientôt, l'élastique noir lâcherait et des mèches folles viendraient fouetter son visage carré.

Quelle connerie que d'aller courir.

Il n'avait jamais été très sportif et était du genre à repousser cette activité par des justifications diverses et variées. Plus jeune, le sport de l'école suffisait, pourquoi s'en imposer un autre ? A la fac, les cours lui prenaient bien trop de temps et d'énergie. Après avoir commencé à travailler, c'était encore moins envisageable, sa vie était déjà tellement remplie.

Et puis un matin, en se brossant d'un geste mécanique les dents, après avoir longuement frotté sa barbe finement soignée, sa main s'était machinalement posée sur son ventre. Ses yeux perle s'étaient agrandis avec horreur. Il n'avait jamais été musclé ou arborant fièrement des abdominaux dessinés. Il n'avait jamais, pour autant, senti sous ses doigts ce petit ventre rebondi qui commençait à faire son apparition. Le lendemain matin, il se mettait à la course.

Mais alors quelle connerie !

Sentant ses jambes faiblir, il commença à ralentir pour finalement reprendre une marche lourde. Il pestait contre son souffle de nouveau-né, il pestait contre ses jambes trop grandes pour être traînées mais pestait surtout sur la fainéantise dont il avait fait preuve durant toutes ces années. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir encouragé ses nombreux patients à effectuer une activité sportive au moins une fois par semaine ; un corps s'entretenait. Il s'était bêtement persuadé que les escaliers qu'il prenait tous les jours, que l'alimentation saine et toutes les bouteilles d'eau qu'il consommait, lui suffiraient à ne pas mal vieillir.

Et il vieillissait. Si la course lui était difficile à cause du manque de mouvements durant toutes ces années, elle n’était pas plus simple de part la raideur de sa jeunesse perdue.  Le reflet de son miroir lui rappelait tous les matins, exposant, sans honte, les rides dessinées aux coins de ses yeux.  

Léonor hoche la tête, étouffe un rire, ferme les yeux, soupire, rattache ses cheveux avec soin, sourit du coin des lèvres.

On le dit souvent, quand on le connait : Léonor est un homme bien. Un type sérieux, quelqu’un sur qui on peut compter, de rassurant et stable. Il n’est pas idiot mais pas suffisamment intelligent pour se rouler en boule dans un tas de crises existentielles. Il connait ses capacités et ses limites, sait travailler dur. Il réfléchit avant de parler, la plupart du temps. Il écoute avec ses deux oreilles et se tait s’il n’a rien à dire. Il se tait même s’il a à dire, en réalité, préférant la fuite aux conflits, un sourire compréhensif ou désolé aux hurlements. Sa patience lui vaut de jouer le journal intime au moins quatre soirs par semaine, sa serviabilité d’être appelé en pleine nuit pour qu’il vienne nous chercher dans un coin perdu. Il s’inquiète beaucoup pour tout le monde et ne saurait dire non à quelqu’un qui a besoin d’aide, souvent à ses dépens. Et s’il ne jugera pas quelqu’un qui s’écarte du droit chemin, ses regards déçus et sévères en ont glacé plus d’un par le passé.  Cela ne l’empêchera pas de pardonner dans un soupir si vous le prenez dans vos bras, laissant trop souvent les gens qu’il aime lui bouffer la vie toujours un peu plus.

Tactile, il ne peut s’empêcher de toucher les gens auxquels il parle et a réellement du mal à se défaire de cette habitude, malgré sa pleine conscience du fait que bien souvent, il embarrasse les gens.