Le doux clapotis des vagues, le bruissement du tissu en proie au vent s'infiltrant depuis une fenêtre entrouverte, le tintement des carillons de verre accroché au plafond, le doux ronronnement des moteurs maintenant les habitations dans les airs, un tableau d'où émane la quiétude. Tu ouvres les yeux sur un plafond de bois éclairé par quelques rais de lumière filtrant à travers le voilage du rideau. Un soupir quitte tes lèvres alors que tu te redresses sans grande conviction, l'esprit encore plongé dans tes rêveries de la nuit passée.

T'as une sale gueule.

Merci, c'est toujours agréable de se faire insulter par une excroissance grossière au réveil.

Mais il a raison. Les résidus de ton maquillage de la veille restent accrochés à tes cils et coulent sur tes cernes les creusant davantage. Ta longue chevelure argentée cascade sur ton corps comme une toile d'araignée et la lumière fait briller ton ossature sombre à travers ta peau translucide dans laquelle on peut voir s'agiter tes vaisseaux. Enroulée dans ton drap, on dirait une morte couchée dans son linceul, tu as des airs de Dame Blanche, Eden, d'avantage que de paradis comme le suggérerait ton nom. Un nouveau soupir quitte tes lèvres bleutées alors que tu abandonnes ton linceul pour t'engouffrer dans l’exiguë salle d'eau. Ton habitation était sommaire, comme toutes les habitations d'Atlante. Quelques planches de bois clouées ici et là pour empêcher la lumière de filtrer, une fenêtre ne fermant pas, un vieux futon et une bonbonne de gaz de camping pour te faire à manger lorsque l'envie te prend. Mais la plupart du temps, tu utilises la salle commune aux diverses habitations trop petites pour disposer d'une cuisine digne de ce nom. Tes affaires personnelles se résument à une malle contenant de vieux habits et à tes docs que tu te traînes depuis ton arrivée.

Tu n'as que faire de cet endroit qui n'est plus une cage depuis ta mutation, seul l'extérieur t'intéresse. Tu ouvres le robinet d'eau froide, la laissant s'écouler sur ton excroissance bavarde. L'eau coule sur ta peau fragile, nécessitant des soins particuliers que tu n'es en mesure de lui fournir. Tu n'es rien de ce que tu subis, détachée de cette enveloppe charnelle qui t'as trop longtemps gardée enfermée entre quatre murs. Tu t'essuies rapidement avant d'enfiler un pantalon bouffant et une chemise blanche par dessus. Tu glisses tes pieds dans tes docs et quittes ton habitation sans prendre la peine de fermer à clef. C'est pas comme si qui que ce soit à Atlante avait quelque chose qui soit digne d'être volé. Tu balayes d'un geste vague du pieds les algues chues pendant la nuit, les observant un instant s'enfoncer dans les eaux profondes du Vern.

T'embarques sur l'un des petits navires accrochés aux habitations et démarres le moteur pour rejoindre la base aérienne. Le vent caresse ton visage et s'engouffre dans ta chevelure hirsute et encore humide, tu fermes les yeux un instant savourant cette sensation avant d’atterrir sur la plateforme où les autres pilotes étaient déjà affairés. Tu avais pour ta part une autre mission aujourd'hui et tu étais en retard. Tu avais reçu une lettre la veille d'un client potentiel que tu devais rencontrer ce matin même. Une promesse de nouvelles aventures, si la lettre n'en disait pas long tu avais eu la nuit pour te faire mille-et-un films dans ta tête. Sans te presser, tu te glisses à travers la foule agitée, évitant le contact tel un fantôme, tu te frayes un chemin jusqu'au hangar Q-342 où était enfermée ta machine. Un sous-marin bricolé avec des pièces de récupération et doté d'ailes mécaniques pour rejoindre le Grand Bleu et de bras pour ramasser les épaves et les traîner jusqu'à la base aérienne. Un engin digne du sous-marin de l'Atlantide, la version de Disney, après un malencontreux passage au sèche-linge qui l'aurait miniaturisé. Il y avait de la place pour deux, en plus de ton excroissance.

Tu mets un tour de clef dans la serrure et laisses la lumière dévoiler l'engin, un sourire empli de fierté venant ourler tes lèvres.

Allé bébé, c'est parti pour de nouvelles aventures!

Commences pas à l'ouvrir toi...